Il dit qu’il n’aime ni écouter, ni répondre aux questions et, de fait, quand lui et moi parlerons pendant des heures, chaque fois il mènera la conversation. À sa manière : marche avant, marche arrière, et hop, un pas de côté. Et toujours le charme qui opère : sous des airs chaotiques, il sait calculer l’autre et assumer ses propres contradictions, sans doute même les entretient-il car il ne savoure rien tant que de perdre son interlocuteur dans les filets de ses malicieuses équations.
Néanmoins, au commencement de chaque rencontre il a le réflexe, presque l’automatisme de remonter directement aux années 60, à ses débuts. Chez une personne de plus de 80 ans, amoureux de l’avenir et de la spontanéité, une personne qui se méfie des habitudes, cet éternel retour – à ce qui l’a rendu riche et célèbre – peut sembler contradictoire, mais peut-être ce péché d’orgueil n’est-il rien qu’une manière de rappeler sa légitimité, son droit conquis à force de travail à n’en faire qu’à sa tête, son rythme, sa curiosité. Une façon de justifier ce luxe inouï – et si rare – qu’il s’octroie depuis des décennies : se donner les moyens de rester un électron absolument libre. … »

– Sonia Rachline